Qu’est-ce que le suivi des contacts et comment peut-il lutter contre les pandémies?



Au Moyen Âge, une croix rouge ornant la porte d’une demeure signalait la présence de la peste noire. C’était un avertissement clair : s’aventurer à l’intérieur signifiait partager le sort funeste des occupants.

Cependant, les médecins de cette époque étaient impuissants à tracer les interactions d’un individu contaminé, rendant impossible la prédiction de la propagation de la maladie. Ils ne pouvaient donc pas isoler préventivement les personnes susceptibles d’être infectées pour endiguer l’épidémie.

C’est précisément là qu’intervient la recherche des contacts, un outil puissant qui pourrait s’avérer décisif dans la lutte contre la récente pandémie de coronavirus. Afin de faciliter cette démarche, Apple et Google ont intégré des outils numériques de suivi des contacts à leurs systèmes d’exploitation respectifs, iOS et Android.

Comment fonctionne le suivi des contacts ?

La recherche des contacts est une méthode largement employée depuis des décennies pour gérer les maladies contagieuses.

« La recherche des contacts est mise en œuvre pour les infections présentant à la fois des risques sanitaires significatifs et une forte capacité de transmission », explique Daniel Piekarz Sr., vice-président des sciences de la vie et de la santé chez DataArt. « Elle a notamment été utilisée face à des maladies mortelles comme le VIH/sida, le SRAS, la tuberculose, Ebola, la rougeole, la variole et bien d’autres. »

Les autorités de santé publique, tant au niveau national que local, sont généralement responsables de la recherche des contacts. Des professionnels spécialement formés, souvent sous la supervision d’épidémiologistes, mènent cette tâche, bien que le processus soit relativement simple.

Lorsqu’une personne est diagnostiquée avec une maladie transmissible, son médecin traitant en informe les autorités sanitaires. Un enquêteur (ou traceur de contacts) interroge ensuite le patient pour retracer ses déplacements et identifier toutes les personnes avec lesquelles il a été en contact. L’enquêteur contacte alors ces individus potentiellement infectés et le processus est répété.

La recherche des contacts face à la COVID-19

Dans le contexte de la pandémie actuelle de coronavirus, un traceur de contacts contacte généralement par téléphone une personne testée positive à la COVID-19. Le traceur collabore ensuite avec cette personne pour identifier tous les individus avec lesquels elle a pu interagir.

« Le traceur appelle chaque contact pour l’informer de son statut, de ses implications et des mesures à prendre », précise Jerry Wilmink, directeur commercial chez CarePredict. « Il s’agit généralement de s’auto-isoler durant la période d’incubation de 14 jours et de surveiller l’apparition de symptômes. »

Enfin, le traceur effectue des appels de suivi auprès de tous les contacts afin de surveiller l’évolution des symptômes et rechercher tout signe d’infection.

Mais qui sont ces traceurs de contacts ?

« N’importe qui peut être formé pour devenir un traceur de contacts », répond Wilmink. « Il est d’ailleurs prévu de recruter des centaines de milliers de traceurs pour maîtriser la COVID-19. Cette fonction ne requiert pas de spécialisation particulière. Des compétences analytiques de base, de l’empathie, ainsi qu’une compréhension de la transmission des maladies et de la quarantaine sont des atouts, mais un diplôme d’études secondaires ou équivalent suffit. »

L’utilité du suivi des contacts est évidente. En traçant le chemin de la maladie, nous augmentons nos chances d’isoler les individus potentiellement infectés et d’empêcher sa propagation. Il s’agit d’une stratégie plus ciblée que le confinement généralisé, un atout précieux pour ralentir la maladie sans paralyser toute la population.

Alors que l’économie reprend progressivement ses activités, certains dirigeants, tels que le gouverneur de New York Andrew Cuomo, ont déjà souligné que la recherche des contacts constituera un pilier essentiel de ce processus.

« La recherche des contacts, grâce à une armée d’enquêteurs, est indispensable pour limiter la propagation du virus », a déclaré Cuomo.

Les limites de la recherche manuelle des contacts

Malheureusement, la recherche des contacts manuelle est imparfaite et loin d’être totalement efficace.

Tout d’abord, ce processus manuel repose sur des entretiens. La mémoire humaine est faillible et rien ne garantit qu’une personne infectée se souviendra de toutes ses interactions. Les contacts fortuits avec des inconnus sont également impossibles à recenser.

Le manque de personnel constitue un problème majeur. Lorsque le nombre de patients augmente, il devient difficile de trouver suffisamment d’enquêteurs pour retracer méticuleusement tous les contacts. C’est pourquoi la plupart des villes américaines ont rapidement abandonné la recherche des contacts.

Néanmoins, lorsque le nombre de cas diminue, la recherche manuelle des contacts redevient viable. Elle jouera un rôle crucial dans la levée progressive des mesures de confinement.

La recherche numérique des contacts

La situation actuelle diffère grandement des épidémies des années 1980 (sida) ou 2000 (SRAS). Selon une étude de Pew Research, plus de 80 % des Américains possèdent un smartphone, un outil qui peut être mis à profit pour la recherche des contacts.

Le 10 avril, Apple et Google ont annoncé leur intention d’intégrer la technologie de suivi des contacts à leurs smartphones via Bluetooth Low Energy (BLE). Pour des raisons de confidentialité, l’activation de cette fonction nécessitera l’accord des utilisateurs. Ceux qui l’acceptent verront leurs téléphones détecter les autres appareils à proximité via BLE.

« L’ampleur et la nature de la pandémie de coronavirus rendent le traçage numérique particulièrement intéressant, d’autant plus que le virus se propage rapidement et de manière asymptomatique », souligne Wilmink.

Si une personne utilisant une application de suivi des contacts certifiée se déclare infectée, cette information sera utilisée pour identifier ses contacts sans avoir à saisir manuellement les données. Ces informations seraient automatiquement transmises aux autorités sanitaires, leur permettant de contacter rapidement les personnes ayant été en contact, même accidentel, avec un individu infecté.

Le traçage numérique des contacts représente une avancée majeure, mais il n’est pas exempt d’imperfections. Encore une fois, cette technologie nécessite l’adhésion des utilisateurs, qui doivent également signaler diligemment leur infection dans l’application.

« Les faux positifs sont probables », avertit Piekarz. « Si vous vous tenez près de la fenêtre d’un restaurant, à une distance suffisante pour que l’application détecte les téléphones à l’intérieur, que se passe-t-il ? Et quel est le risque d’être contaminé par une personne qui se tenait à deux mètres de vous pendant deux minutes ? »

Malgré ces limites, Apple et Google prévoient de rendre cette technologie disponible en mai. Son efficacité dépendra, bien sûr, du taux de participation. Toutefois, elle pourrait s’avérer un outil essentiel pour suivre la progression du virus et identifier les personnes potentiellement exposées.

En attendant, d’autres outils sont déjà opérationnels. CarePredict, par exemple, fait partie des nombreuses entreprises de soins de santé ayant développé ou déployé des outils similaires à plus petite échelle. Le logiciel CarePredict est un système automatisé de recherche des contacts destiné aux établissements de soins pour personnes âgées.

« Une fois qu’un porteur potentiel a été identifié », explique Wilmink, « les capacités de géolocalisation de CarePredict permettent de savoir avec qui la personne infectée a été en contact et pendant combien de temps. »

Grâce à ces outils, la recherche des contacts entre dans le XXIe siècle. Dans les mois à venir, elle devrait contribuer à sauver des vies et à aplanir la courbe de l’épidémie.